jeudi 26 juin 2014

Beyoncé, je t'adore mais tu n'es pas une icône féministe. Alors cut the crap.

Aujourd’hui, billet qui n’a pas rien à voir avec Berlin (c'est un blog personnel: on fait donc ce qu’on veut avec nos cheveux), mais dont l’idée a néanmoins germé grâce à une franco-schleuh lors d’une récente soirée improvisée, de celle qui s’ouvre avec un innocent godet et se finit en ciseau à taper dans l’herbe du chat en écoutant de la musique militaro-religieuse russe et en déclamant les plus belles répliques de Terence & Philip. Jusqu’ici tout va bien négro, jusqu’à ce que la playlist Spotify zappe sur un des nombreux hits de l'impératrice incontestée de l’univers et de Navarre – j’ai nommé Rihanna. Blondie, qui comme tout(e) berlinois(e) qui se respecte et ce peu importe la nationalité, développe des tendances musicales fashisto-rigides relève brusquement sa jolie frimousse aryenne affichant un air scandalisé comme si j’avais contesté l’efficacité des V2, et s’exclame : « stoppe-moi-ça-tout-de-suite. Et puis arrête de te pâmer sur sa robe à paillettes (qualifier la merveille Swarovski de robe à paillettes... Pardonne-leurs Seigneur, ils portent des Scholl avec des chaussettes, ils ne savent pas ce qu’ils font). Franchement la meuf est à poil ! Comment tu peux t’extasier sur une fille comme ça et parler féminisme ensuite ? A la limite mets Beyoncé, ça je tolère ».
Bon. Dégoupiller sur Riri est une chose. Apriori tous les goûts même les plus répréhensibles sont dans la nature – Desigual existe et prospère, rappelons-le –. Mais me renvoyer à la gueule mon féminisme du dimanche en convoquant Beyoncé, nouvellement autoproclamée Sainte Patronne de la cause féminine aussi streetcredible que les premières lignes des manifs de putes lorsqu’elles revendiquent le droit « de faire ce qu'elles veulent avec leur corps », ça c’est un peu fort. J’effectue donc un redressement bitch mode activated doublé d’un « pardon ? » assez appuyé sur le rrrrr (l’Allemagne ça) pour sous-entendre l’imminence d’une belle engueulade. La question n’a a priori pas assez révélée son sous-texte belliqueux pour empêcher ma pote de persister, signer et s’embourber dans sa tranchée: « bah oui ça devrait te plaire à toi, dans ses dernières chansons elle parle de féminisme, Flawless, tout ça… Neh ? »




Nous aurions pu nous lancer dans un débat pseudo-intellectualo-onanisto-féministe, nous attarder sur l’histoire allemande particulièrement dense dans le domaine, ou encore nous interroger sur la vision teutonne très asexuée du corps humain. Mais bon, cela demandait de convoquer un peu trop de connexions synaptiques. Nous passerons sur le cas complexe de Rihanna, meilleure amie de rupture (combo gagnant quand elle appelle à la rescousse sa poto Nicki Minaj), sirène barbadienne beaucoup plus bonne que la plus bonne de tes copines, Michel-Ange de l’art capillaire, contradictrice de ses homologues masculins (come here rude boy boy can you get it up… Des fois on se demande), amoureuse éplorée et croqueuse insatiable, philosophe des temps modernes (son Twitter, un florilège de percutants aphorismes éjectant Aurore tout droit au pays des Télétubbies), prêtresse absolue du style, docteur ès multiconfirmée dans la maîtrise subtile de la moue estampillée judging you XXXtra large… Bref, nous ne nous lancerons pas sur Riri, sinon le doctorat pointe. Par contre, parlons de Beyoncé.

Parce que malgré le vaporeux et inexplicable consensus flottant autour de l’auguste reine du RnB, non, Beyoncé n’est pas une icône féministe. Loin de moi la malhonnêteté de contester son indéniable statut icône : son admirable carrière, ses shows assez dantesques pour assécher les centrales électriques de la Nouvelle Orléans durant le Super Bowl, laissant la ville comme aveuglée par la fulgurance de cette expérience quasi mystique... Mais si, outre l’égalité social, politique et économique entre les sexes, nous considérons le féminisme comme un courant prônant la capacité des femmes à se penser comme être à part entière et non pas comme définies par un autre masculin (dans une relation de délétère dépendance s’il vous plait, sinon ce n'est pas drôle), alors Beyoncé, malgré ses nouveaux airs revêches d’amazone effarouchée prête à en découdre avec le méchant patriarcat et à renvoyer Inna Shevchenko dans le rayon Barbie de Carrefour, développe un personnage public dont les danses sensuelles et l’hypersexualisation ne cachent que fort mal une pensée profondément traditionnelle, voir réactionnaire; surtout sur l'épineuse question du couple. La palette d’exemple est fournie, de la condescendance mignonne aux postures vraiment pénibles. Illustration : en soi, ça ne me gêne pas qu’elle déploie une discographie dont la conclusion aux relents moralisateurs est « le fun commence avec le mariage ». Une union sacrée sur deux selon les statistiques serait là pour te contredire Bey, mais après tout, pourquoi pas, et tant mieux pour toi si tu y crois. Plus problématique : lorsque Beyoncé cause rupture, elle ne reste jamais seule, en retrouve un autre derrière, et très vite. Je suis la première adepte du sacro-saint commandement « si du cheval tu tombes, remonter en selle direct tu devras »: néanmoins, quand le discours se trouve sous-tendu par une peur panique de l’ignominie du célibat (l'enfer, c'est la solitude), là, ça devient nauséabond. Les mecs ne disent pas I can have another you in the minute : le grand discours actuel veut que non seulement cela tombe sous le sens pour eux, et surtout ils n'ont pas besoin de se définir à travers un autre féminin.
On m’objectera qu’on ne se bâtit jamais en dehors de la subjectivité d’autrui, et que la construction identitaire passe par l’aliénation objectificatrice du regard de l’autre (bitch say what?). Vrai jusqu’à un certain point. Plus pragmatiquement, on m’objectera Single Ladies. Je répondrai simplement que le véritable titre de ce hit est put a ring on it. Merci Bey, ça c’est de l’empowerment. Simone, Angela, Olympe et toute la clique peuvent dormir tranquille. On m’objectera Girls (who run the world), brûlot vive-les-femmes-fortes un peu niais déployant tout de même quelques belles vérités  (et puis oui c’est bon, j'avoue, j'aime bien Major Lazer. Keskya ?). Avec mon acolyte Twinnie Frenchie nous étions sur le point d'applaudir l'effort; c'était, bien entendu, oublier la haute capacité de Beyoncé à miner la plupart de ses coups d'éclat girl power; c'était avant d'avoir maté le clip. Dans la dite vidéo, une armada féminine – apparemment plutôt remontée – finit aux gardes à vous devant un peloton de messieurs : rarement vu pire en termes de discrédit de message et de conclusion foirée. Si j’étais toi Bey j’aurais lapidé mon dircom en place publique.

Quand avec Twinnie on a maté Girls (who run the world)
le refrain de Partition
les paroles de why don't you love me... vous avez compris (désolée, c'était juste pour le plaisir d'utiliser nos gifs Kanye West)
Quant à sa récente épiphanie féministe, elle est concomitante à un retour en force au sein du monde anglo-saxon de la réflexion dite « du genre », fer de lance d’un féminisme 3.0. en gestation pour certains – phénomène de mode pour d’autres –. J'ai cru entendre le mot "opportunisme" lancé dans l'assemblée... Beyoncé pourrait néanmoins s'avérer un objet de réflexion fort intéressant pour ce cadre d'étude, mais ce n'est surement pas  pour ses nouvelles positions d’apparat : avec des chansons telles que Jaleous ou Yoncé (qui pourtant commençait bien), Mrs Carter ne fait pas autre chose que reprendre – et confirmer – certaines des représentations historiquement/culturellement attachées au féminin les plus rétrogrades. En dernier recours, on m'objectera Flawless. Il est bon de noter que l'instant "féministe" de la chanson n'est - ô surprise - pas de Beyoncé; elle n'y prête d'ailleurs pas sa voix, elle n'en permet pas la matérialisation. Sans ce fameux passage déclamé par Chimamanda Ngozi, la chanson devient particulièrement ambiguë quant à son message. Même le tomboy twerker Miley, du haut de ses 22 ans – en mettant de coté son appropriation très problématique de la « culture » ratchet – fait 1000 fois mieux en terme de subversion de norme ; c’est dire le niveau.



Donc Queen B je t'adore, tu es un épicentre warm & cozy saturé d'ondes positives, tu es une chanteuse/performeuse hors normes, tu es une source d’inspiration pour des milliers de personnes (je pourrai mourir tranquilou si ma fille se ramène un jour, la mine déterminée, et me déclare : « maman, je veux être comme Beyoncé plus tard. Mais sans Jay-Z - faut pas déconner non plus -. Et avec de vrais cheveux »), mais tu n’es pas une icône féministe. La contradiction est le premier apanage de l'humain : Rihanna est une figure d’empowerment presque caricaturale (imaginez une seconde Beyoncé chanter suck my cockiness lick my pussiasion**, et ce sans tempérer le tout avec une belle connerie de femme des années 50, genre « I’m doing all this for you baby. And I cooked pastas. Why don’t you love meeeee ??»); elle est pourtant retournée avec Chris Brown. Mais bon, faire son coming out féministe pour quelques temps après dévoiler un clip shooté par Terry « j’ai un gros souci avec ma non moins grosse bite (mais comme la société va bien, jusqu’à peu je travaillais pour Vogue anyway) » Richardson… Il y a des limites à tout, même à la connerie profonde; si si je te jure. Fais nous des chansons mielleuses comme nous les aimons, d'imparables hits qui pulsent et où le booty shake sévère sans trop s’attarder sur les paroles, ou alors de petites perles guimauves pleines de bons sentiments et prônant la souveraineté des valeurs familiales (sérieusement Bey, j’ai eu ma petite larme en matant le clip de « Blue ». Ta puce m’a presque donné envie d’avoir des gosses, qui plus est avec un  mec qui me laisse m’en occuper exclusivement, Jay-Z apparaissant 5 secondes dans la vidéo, une binouze à la main. Vous m’avez vraiment fait rêver). Mais cesse donc avec cette nouvelle fallacieuse panoplie: ce n'est pas parce qu'une française balance trois phrases un peu salaces (qui doute que "les féministes aiment le coït", comme si féministe équivalait à une sous-espèce à part définie apparemment par une frigidité/lesbosserie ontologique? Qui ose encore développer ce genre d'argumentaire débile (à part les FDPdelamode; mais eux, je leurs passe tout)? Et anyway, qui dit encore coït??) que la nature faussement subversive mais véritablement carpet des paroles de Partitions s'en trouve annihilée. Fais nous des Halo, des I Was There, des Drunk/Crazy In Love, des Blue... Laisse la culotte boss ass bitch à Riri: elle la porte beaucoup mieux.



**« Ah bon, donc dire suck my cockiness lick my pussiasion c'est ça être féministe? Hypersexualiser le corps féminin (je rappelle quand même que depuis la tradition cartésienne, le corps est l'antithèse de la liberté) et revendiquer une sexualité agressive clairement calquée sur une certaine idée de la sexualité masculine (elle même fantasmatique), c'est de l'empowerment? Bah putain elle est belle la jeunesse !». Voilà ce que m'a gentiment objecté Dédé, mâle de 65 ans, l'une de mes nombreuses personnalités; faudra y réfléchir. L'avantage d'avoir 43 personnes qui monologuent en même temps dans sa tête: la haute capacité à se faire des débats contradictoires toute seule. On va bien, merci.  

by Juju

3 commentaires:

  1. Chacun peut donner son avis sur les stars mais le "mais avec de vrais cheveux" est de trop. Beyoncé n'est pas la seule star qui porte des perruques, Katy Perry, Lady Gaga... en portent aussi. Et puis on voit bien qu'elle a de "vrais cheveux" sur les vidéos quand elle avait une dizaine d'année.

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