vendredi 19 juillet 2013

La drague improbable, ou comment faudrait pas devenir pire que les allemands.

On l'a dit, redit, radoté, il y a même des livres sur le sujet (pour vous dire!) : la drague à Berlin, c'est pas la joie. Enfin... C'est pas la joie si vous avez décidé de vous comporter comme une princesse inaccessible, habituée aux gros lourds franchouillards qu'il va de toute façon falloir asperger de lacrymo pour qu'ils se découragent à vous compter fleurette. En soit, parole de connaisseuses, si vous vous la jouez camionneuse non-subtile-qui-va-droit-au-but, tout en conservant un minimum de ce charme tout français qui décontenance la gente masculine internationale, ça fonctionne. Pour un soir du moins, car comme dirait votre hôte/boyfriend/whatever : « faut pas non plus trop en demander ». Ou peut être n'avions nous rien compris aux codes berlinois, peut-être que le terrain de chasse n'était ni la boîte, ni le bar, ni la piscine, ni la house-party, ni la chambre, ni le lit. Peut-être qu'il y avait une autre cartographie de la drague, une différente géographie, une antre de l'émulation libidinale insoupçonnée. Et que cette antre s'appelle Dussmann.

Vous débarquez un jeudi après une journée de taf (comprendre: « je ne suis pas du tout en mode bombastique, prions pour ne pas croiser Brad Pitt aujourd'hui») à Dussmann. Vous n'y étiez jamais allée, sûrement parce que vous ne vouliez pas donner raison à votre collègue allemand qui vous soutenait: « mais si on a un magasin comme „lö fnöc“ » ; d'ailleurs si vous vous y rendez, c'est juste histoire de confirmer que c'est forcément moins bien que la Fnac, vive la France, cocorico. Donc vous entrez, balayez l'ensemble d'un regard hautain qui se transforme vite en intérêt ébahi; tous ces titres allemands que vous ne pigez pas, c'est un peu fascinant. Ça vous rappelle vos jeunes années, quand vous ne saviez pas lire et que vous étiez attirée par la couverture criarde des bouquins les plus mauvais. De petit tour, vous passez en mode furetage en règle; après tout, vous avez beau faire genre vous êtes une meuf ghetto/beauf (avec un peu de chance, avec vos autres copines ghetto/beauf vous tenez un tumblr dont les posts prouvent sans appel que vous êtes une droguée, une alcoolique et une détraquée sexuelle, mais pas une amie de la culture), en vrai sommeille (très profondément) en vous une nerd à lunette qui lisait Sartre en 5ème et pleurait quand elle avait en dessous de 17/20. Tout ça pour dire, restez 5 minutes dans un endroit rempli de livres et on vous perd ; chassez le naturel (même très bien enfoui) il revient au galop. Vous commencez donc à fouiner méticuleusement, à la recherche d'un ouvrage pour enfant pas trop compliqué (vous êtes tombée sur la Nausée, vous l'avez effleuré, et puis vous vous êtes dit qu'il y avait des limites aux défis irréalisables). 

Et c'est en furetant que vous tombez sur un des nombreux spécimens de cette espèce bombasse qu'est le berlinois (comment vous savez qu'il est berlinois? „Le flair, ma bonne dame“). Il est assis, il lit un truc imprononçable signé Hegel, il ressemble à Dean Winchester avec une meilleure coupe de cheveu. Malgré cela vous ne vous rincez même pas l’œil (oh ba non, pourquoi se faire du mal? Rapport allemand au corps intériorisé pendant 6 mois oblige, vous verriez le nouveau Superman à poil que vous ne moufteriez même pas et penseriez simplement : „tiens, un être humain de sexe masculin nu. Bien. Bertha, où est la Sauerkraut?“), mais vous vous concentrez intensément sur le titre donc la signification demeure mystérieuse, convoquez tous vos synapses valides, vazy-kiki-tu-vas-y-arriver. Au bout de quelques secondes de réflexion, vous relevez votre figure dont l'expression concentrée a viré mi autiste mi « j'ai le colon bouché ». Le détenteur de l'ouvrage vous dévisage. Oui, parce qu'en fait, ça fait bien 3 minutes que vous essayez de déchiffrer son truc. Il observe la couverture à son tour, re porte son regard sur votre personne, et vous sourit. Ça vous fait l'effet d'une mini décharge électrique : qu'est ce que c'est que ce mec chelou qui ose manifester une once de bonne humeur? Non mais oh! Vous froncez les sourcils et retournez à vos moutons, jusqu’à ce que vous sentiez un petit pincement le long de votre échine, le genre de sensation qui normalement se trouve déclenchée par un regard appuyé, et qui ne s'est donc pas manifestée depuis 6 mois. Vous vous dites que votre radar à drague potentielle est en panne, que c'est tellement la loose pour lui qu'il en vient à s'inventer une vie. Vous relevez prudemment les yeux. Et pourtant... Dean W. Hegel vous dévisage bien. Vous vous retournez pour vérifier qu'il n'adresse pas ses regards à une autre personne, avant de remarquer que vous êtes quasiment adossée à la bibliothèque (et qu'en conséquence ce mouvement sera le plus ridicule de votre journée). Et là ô miracle, il se lève, se dirige dans votre direction, s’arrête devant vous (à ce stade vous doutez toujours qu'il vienne pour vous parler), et adresse des mots apriori à votre encontre (vous êtes à deux doigts de re vérifier qu'il ne s'entretient pas avec le mur derrière vous):
« Vous cherchez ce livre?
- …
- Mademoiselle, vous cherchez ce livre?
- (Putain "mademoiselle", ça doit être moi... reste cool, reste cool) Quoi ??! (pour la politesse, on repassera. En même temps ça fait 6 mois que des connards vous balancent la porte du ubahn dans la gueule et ne s'excusent pas quand ils vous rentrent dedans à vous en déboîter l'épaule. On s'adapte).
- Ce livre, vous le dévisagiez, je peux vous le trouver si vous voulez.
- Oh non, j'essayais juste de lire le titre. » Glapissements nerveux amplifiés par la prise de conscience que votre dernière phrase était digne de la pire des demeurées. D'ailleurs vous vous attendez à ce que le jeune homme se barre d'un coup, qu'il disparaisse, qu'il s'évapore dans les airs comme ses congénères ont tendance à le faire. Mais non. Il est toujours là, toujours à vous dévisager.
« C'est ihlugdakufbajkwfgjk ksjfkd (en vrai: Phänomenologie des Geistes) d'Hegel, vous connaissez?
- … Ouai. Je me rappelle que la première phrase est incompréhensible. Il en fallait pas plus pour que je m'endorme à tous les cours sur le sujet.
- Ha Ha Ha! » Oh putain, votre blague qui n'en était pas une l'a fait rire. Grosse suspicion. Restons prudente, c'est peut être un pervers.
« Et donc.... Vous cherchez un ouvrage en particulier?
- Pas vraiment, je cherche un livre pour enfants.
- Pour qui? » En tant normal vous auriez balancé un gros mytho, « pour ma nièce », mais quelques années à vous prendre dans la face l'honnêteté au vitriol de votre hôte/boyfriend/whatever berlinois ont également laissé des séquelles. Et donc...
« C'est pour moi, pour m’entraîner avec votre langue.
- Ah bon... C'est une très bonne méthode. Vous êtes courageuse d'apprendre, en plus à Berlin tout le monde parle anglais...
- Ouai je suis surtout très conne. Conne au carré.
- LOL ! » Oui, il rigole. Genre, un franc et vrai rire. C'est clairement un pervers. Vous décidez de ne pas relancer la conversation. Le mec va se dégonfler comme une baudruche, vous parlez d'expérience. Que nenni.
« Et vous êtes d'où?
- Paris.
- Aaaah, la ville romantique par excellence » en français. Bon là, Dean Winchester qui s'exprime dans la langue de J-B avec un léger accent allemand, c'en est trop, vous capitulez. Et donc, 30 minutes plus tard durant lesquelles vous avez balancé plus de conneries que de raison (entre autre: « Vous faites quoi à Berlin? - Bah comme tout expat qui se respecte, je me branle la nouille. Avec la complainte facile en plus, parce que je suis française ». Et un moment surréaliste : « c'est marrant le point de vue des étrangères sur les mecs allemands. J'ai vu ça sur un tumblr fait par des filles françaises, je ne savais pas qu'on était con comme ça. - …Hum... Ouais, mais vous êtes des bons coups, ça rattrape un peu. Enfin je le connais pas ce tumblr, je dis ça je dis rien...) et où vous avez porté avec force les couleurs de la mauvaise humeur made in Frankreich à un point presque inquiétant (« c'est étonnant, ton accent américain. - Ouai alors je le vis pas très bien, donc merci de le faire remarquer. - Je voulais juste dire que tu parlais très bien anglais. - Je sais. Ou alors tu veux dire pour une française, c'est ça ?“ (Who let the dogs out en fond sonore)), vous avez appris que Dean (qui s'appelle en fait Chris) a 28 ans, born and raised à Berlin, vétérinaire, omnivore, adore les chevaux (vous avez failli le demander en mariage à ce moment), a voyagé partout, trouve que le dernier Kanye West est une bombe, et considère que l'on peut „obtenir beaucoup d'accomplissement personnel dans une relation“. Et là, au paroxysme du « nous nageons en plein délire », il vous pose la question qui tue: « et sinon ça te dit un verre, un jour? Je t'invite ». S'en est trop, vous pouffez de rire à vous étrangler avec votre propre salive: « pardon? C'est une caméra cachée non? Parce que bon, berlinois pas vegan qui aime de la bonne musique, qui a fini ses études de véto, qui aborde une fille sans être apriori défoncé sous MD, et qui propose de payer le verre... Elle est où la blague? » Là, par contre, il reste perplexe et vous dévisage, un peu décontenancé. Vous, passé l'euphorie de votre balourdise pas drôle, vous commencez à vous sentir mal. Si ça se trouve le mec est vraiment intéressé, il s'est mis un énorme coup de pied au derrière pour oser vous parler, et là vous êtes en train de le ruiner, c'est terrible. Déjà qu'ils sont complètement handicapés à ce niveau, ça doit lui demander un effort surhumain. Ou alors... « Tu serais pas un pervers par hasard? »

1er conclusion : exit le Berghain, le KaterholziC („C“pour que la Gestapo française (forcément) de l'orthographe allemande fasse une embolie pulmonaire), le Club Der Visionäre et compagnie. ZE place to be, c'est Dussmann, dans le tier-quart de Friedrichstraße bitchiz.
2eme conclusion: vivement octobre pour la nouvelle saison de Supernatural (Misha "Pizzaman" Collins, will you marry me? Please? Allez quoi, j'ai dit please bordel !) 
3eme conclusion: 6 mois à Berlin vous ont donc rendue mal aimable, hermétique aux signes de la drague classiques et à l'humour. Et hystéro du currywurst. Guénial.

by Juju

7 commentaires:

  1. Je ne crois pas un mot de toute cette histoire. Vous affabulez. Tout ceci est impossible.

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  2. J'ai adoré cet article ! Franchement très drôle ;) Mais je demande aussi à avoir la suite, haha !

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  3. Exelent, le vieux francais berlinois que je suis trouve ca génial!!!!!
    DaBigSeb

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