Repérée aux détours d'une des alcôves du Panorama Bar, vision incertaine au milieu des vapeurs de chaleur, de lumière et d'alcool, « elle est belle et plus que belle; elle est surprenante ».

Elle s'exprime très vite dans anglais british impeccable et over-the-top, marmonne encore plus rapidement dans un français popu où pointent des fulgurances langagières (« cette musique? C'est de la merde capillotractée»), et hausse drastiquement le ton dans un allemand parfait, accentuant malignement les çh, s'amusant à allonger les ach, parce que « l'allemand c'est fait pour gueuler. On éduque les chiens avec, c'est pas pour rien. Mon père est allemand, il déteste quand je parle comme ça. J’adore le voir bouillonner intérieurement. Il est drôle sans le vouloir, mon père ». Mais à demi-mot, elle avoue grandement apprécier la poésie
allemande. « Goethe c’est imbitable, mais il y a un rythme, une mélodie,
une urgence saccadée… Les aphorismes de Nietzsche, ou Schiller sinon, comme tu
veux. Les classiques ». Elle aime bien Berlin pour son anonymat. Malgré
cette retenue constante qui sied si bien à l’Allemagne, elle aime la mélancolie
de la ville, son architecture dépareillée, son authenticité. Elle adore l'été
parce que sur la noirceur des murs plane une odeur estivale et florale; cette atmosphère,
ces senteurs, il n'y a qu'à Berlin. Elle adore sortir de boite et se lancer
dans de grandes ballades, pour admirer et dessoûler. Elle aime les entrepôts
crades qui se transforment en fête sans fin. Elle aime aussi les bars chicos
« sûrement à cause de mon éducation de bourge, du côté de ma mère » ;
il y a toujours des mecs pour lui payer des cocktails hors de prix et parler
titrisation. D’ailleurs les mecs ici, elle les trouve marrants, ils sont
mignons avec leurs traits parfaits et leur tête blonde. Elle les aime bien,
pour quelques semaines du moins. « Après, leur coté control freak n’est pas gérable. Et puis il ne faut pas trop leurs
en demander à ces pauvres chéris, déjà que bobonne étant sortie de sa cuisine
ils ne savent plus où se mettre… Mais par contre, il faut être à leur
disposition. Mes parents ne s’entendaient sur rien de rien, mais il y a une
chose qu’ils m’ont tous les deux martelé : ne jamais être à la disposition
de qui que ce soit ; et surtout pas d’un mec ». Elle réfléchit.
« De toute façon, je crois que je préfère les filles. Des fois ». Elle
adore Mike Davis (« tu as lu City of Quartz ? J’aurais jamais cru que la géopolitique pouvait devenir
poétique »), Naomi Klein et Marx. Elle adore MAC aussi, le rouge qui
dégouline. Et Chanel, parce qu’elle aussi elle adore la couleur, « tant que
c’est du noir ». Tout ça, c'est un peu contradictoire. Elle tire très fort sur
sa cigarette et ricane: « c’est bien une remarque de française, ça. Bah
ouai c'est contradictoire. Tu les trouves intéressants toi, les gens sans
contradictions ? J’assume. I know where I stand. Can you say the same about yourself? ». Dans mon souvenir elle m'a énormément faite
rire ; et elle ressemblait à s’y méprendre à Lindsay Lohan.
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