La mode et Berlin. L’expression
n’est pas complètement antinomique, pas tout à fait antithétique et pas non
plus digne de l’oxymoron (oui prépa oblige, nous pouvons longuement continuer
dans la figure de style surannée). Elle ne coule pas non plus de source ;
l’association est bizarre, racle le palet et vrille le tympan. Il ne suffit que
d’une visite dans cette chère capitale allemande pour rapidement reconnaître
cette évidence : Berlin et la mode, il y a encore du chemin à faire.
Partant de ce constat, il est logique que la ville soit loin de faire autorité
en matière de Fashion Week, et les grands noms ne prennent même pas la peine de s’y déplacer.
A défaut de produire des designers hot,
la capitale attire de plus en plus de jeunes talents fatigués de devoir se conformer
à un système phagocyté par une oligarchie indétrônable aux codes difficilement
modifiables. C’est à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle. Mauvaise, car la
classe dirigeante piochant également dans la plèbe pour se reproduire, la mode
berlinoise n’échappera pas au processus de gentrification
dont la ville se voit la victime. L’avantage de ce statut de poulain prometteur
piaffant de plus en plus rageusement dans les starting-blocs est immédiat :
il faut se rendre maintenant à la Fashion Week berlinoise, et au moins pour les 5
prochaines années (avant qu’elle ne devienne un nouveau Londres, avec les prix
qui vont avec). Durant une semaine, la ville s’anime de pop-ups events tous plus
délirants les uns que les autres, et a le mérite de proposer des shows
extrêmement intéressants, pas encore dévorés par la dictature du VIPisme (enfin,
pas trop). Par exemple, nous a été offert la possibilité d’admirer le travail
du Frenchie Charlie Le Mindu, créateur des coiffures de Lady Gaga. En bonnes
modeuses trop feignasses pour se bouger à la cheap Bread & Butter (cheap parce qu’on est des rageuses), mais
bénéficiant d’heureuses opportunités (un post indirect sur Prada semble ouvrir
beaucoup de portes. Il faut bien qu’il y ait des avantages à tenir un blog),
nous voici donc guest-listées pour assister à la soirée de clôture du Berlin
Fashion Film Festival. Et nous avons été très agréablement surprises. On vous
raconte.
Créé l’année dernière, le Berlin
Fashion Film Festival était donc de retour pour, toujours dans l’esprit
alternatif cher à notre bien aimée Berlin, célébrer la mode dans ce qu’elle
propose de plus innovant. Au programme, une vingtaine de court-métrages. Nous
avons craint l’étalage excessif du faste
et de la vacuité propres au milieu, nous nous sommes agréablement trompées.
Certes, certaines œuvres faisaient la part belle à une réflexion
pseudo-métaphysique de comptoir quand d’autres se cantonnaient au registre du spot
publicitaire, mais la plupart se sont révélées de fort jolies surprises. Dans le
lot bien entendu, beaucoup de beauté filiforme, de garde-robes comptabilisant
le PIB du Ghana et du maquillage à repeindre notre appart. Mais également, de l’inquiétante
étrangeté hyper stylisée (Odditory, Belle De Jour ou I Like This Girl). Et
étonnement, beaucoup d’humour, de lucidité grinçante et de décalage aigre doux (Prada Candy de Wes Anderson avec notre Léa Seydoux ou Dogs in Sunglasses pour Diesel). Mention spéciale au film Fashion Film, véritable soufflet infligé au
délire onaniste de la bloggeuse modeuse moyenne (autant vous dire qu’après celui-là,
il a fallu redoubler d’ingéniosité pour répondre à la question « et vous,
vous faîtes quoi ici ? » sans prononcer le mot bloggeuse : nous
sommes passées de mannequin Prada (165 demandes d’amis FB dans les 5 minutes qui
suivirent) à infiltrée d’une ONG contre l’usage de la fourrure, en passant par
maîtresse du host de la Fashion Week (« ah bon ? Mais je pensais
qu’il était gay ?? – Hum… Moui, c’est pour ça que j’ai dit
« maitresse »)). Étaient également projetés de véritables ovnis, comme le
court métrage Alexandre Mc Queen FW2012 hommage au designer éponyme, réflexion condensée et minimaliste de 2 minutes
sur la représentation du corps (obsession hantant le travail du créateur),
ou encore Alter Ego narrant la rencontre d’un couple à travers le temps. La
sélection présentait même Possession, une oeuvre bien sale contenant tous
les clichés du trash berlinois (sex, drogue et minimal techno) histoire de
montrer qu’on sait aussi s’encanailler chez les publicitaires. En bref – et en faisant
abstraction de l’amateurisme absolu de la « maîtresse » de cérémonie –
de très jolies surprises cinématographiques.
Fashion film
Défilé Charlie Le Mindu
(cocorico !!) et afterparty
Faisant d’une pierre deux coups (la
projection et l’after party se déroulant à l’Arena), les organisateurs avaient
décidé de présenter le défilé au Badeschiff. Pour les malheureux qui ne s'y sont
jamais rendus, c’est une sorte de station balnéaire (« ouiiiiiiii bien sûr »)
sur la Spree, avec mini plage, bar et transats. L’endroit, bien que souvent bondé, est idéal pour chiller après le
travail (en dehors des heures de pointe et une fois que les touristes
américains ont déserté, Badeschiff retrouve sa population un peu
redneck mais tellement cool et authentique).
Nb : autant vous dire qu’on
a bien rigolé quand toutes les minettes en talon ont réalisé qu’elles allaient
devoir se frayer un chemin dans 50 cm de sable.
Le catwalk débute, rythmé par une bande-son excellente mariant Techno
martiale et Dubstep industriel. C’est sur ces basses chaloupées que de sublimes
créatures or et noir apparaissent pour lentement défiler le long du ponton en
bois. Apparues, c’est le mot ; dans la lumière déclinante, illuminées par
le crépitement des flashs magnifié par le reflet aquatique, difficile de ne pas
être envoûté par ces corps nus marbrés d’or et supplantés de coiffures plus
improbables les unes que les autres. Cette nudité, au-delà du facteur
provocation, le créateur la présente comme un hommage à la Femme, fantasmée et
fantasmatique (« je trouve les femmes nues sublimes, c’est presque
incroyable. Plus une femme est à l’aise avec son corps, plus elle devrait être
nue »). Et ici en effet l'être féminin se voit sublimé, ses principaux « atouts »
étant surexposés à l’extrême : loin du cliché des podiums parisiens, les
mannequins sont ici très musclées et en
forme (tout en restant fines, faut pas déconner non plus) ; leur chevelure,
« première parure d’une femme » prend une place prépondérante.
Cornes, spartiates, casque : la femme est également guerrière et animale,
revêtue de toute une panoplie d’accessoires mythologico-guerriers. Le contraste
entre la peau sombre des modèles et l’or de leur ornement ajoute à cette beauté
irréelle, alors que leur silhouette se détache de plus en plus magnifiquement
sur le ciel qui s’assombrit. En résumé, un moment inattendu et
hypnotique ; et puis, un défilé qui se clôt sur Gesaffelstein ne peut
qu’avoir nos faveurs.
Soirée clôturée sur le balcon du Badeschiff, avec vue imprenable sur Kreuzberg. Et puis ce qui se passe à l'Arena doit rester à l'Arena. Bisous!
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