Après quelques semaines de
tentatives d’immersions intenses (comprendre : écumer tout endroit
ressemblant approximativement à un bar et exploser ses Doc Martins sur le métal
froid des dance floors) entrecoupées de pauses dépressives passées à enfouir votre
petit corps au fond d’une couette, vous voilà en mesure de dresser un mini
anti-guide de Berlin, plein de mauvaise foi franchouillarde, de bile échauffée
et de récriminations injustifiées (Nietzsche dirait sûrement : « bravo,
vous avez atteint le stade überfaible.
La fin du monde est – en effet – proche »).
Berlin, reconnue comme la
capitale d’une Europe en mal de sensations fortes communiant sans modération sur
les rythmes trashy du Berghain (1er
étage pour les puristes, Panorama Bar pour les softies et autres moues-du-genou), serait donc en passe d’être
canonisée ville cosmopolite par excellence. Ah bon. Certes, il y a des
« minorités visibles » à Berlin ; pour une métropole, c’est un
moindre mal (passons les implicites blagues de très mauvais goût). Néanmoins, jusqu’à nouvel ordre, « cosmopolite » ne veut pas dire
« superposition de communautés », mais bien mélange ; Paris ou
Londres en sont d’excellents exemples. Disons-le donc tout de suite : à
Berlin, vous, individu plus ou moins basané, vous allez vous sentir quelque peu seul.
Pourtant, en général, cette
solitude ne vous gêne pas, et si en effet vous la remarquez, elle se trouve sans
incidence consciente sur votre vie ; et puis vous êtes de Paris, une vraie ville cosmopolite. Etre la
minorité n’est pas en soit problématique, à moins qu’un individu cérébralement amorphe décide de méchamment vous le renvoyer dans votre petite
face exotique. Et même ceci, pour peu que vous ayez un milieu familial et social
équilibré, certes ça fait mal, mais ça se dépasse et ça fait
grandir. Il est par contre exact que lorsqu'un individu peu avisé s’amuse à un peu trop vous titiller sur le sujet, votre tolérance tombe rapidement à d'abyssales profondeurs,
et il vaut mieux pour le gugus en question que vous ne soyez pas trop bourré
et qu’il n’y est pas à portée un quelconque objet tranchant (Oren Ishii a parfaitement synthétisé la situation). Donc en soit, vous vous en
branlez. Mais même en vous en foutant, le peu de métissage de la soi-disant cosmopolite
Berlin a quand même réussi à être… visible.
Mise en situation. Vous vous
ramenez à une cérémonie de remise des diplômes d’une prestigieuse université
berlinoise à laquelle votre hôte/boyfriend/whatever
vous a invitée. Bon, ok, c’est le département Sport et Anglais, donc disons pas
forcément le plus bondé de la fac (apprendre à enculer le monde en Master Economie,
Finance et Marketing, ça a quand même vachement plus de gueule). Mais au moins une
100aine de personnes doit être présent. Après vous être ruée sur le champagne –
et vous être fait méchamment rembarrée parce que, voyez-vous, le champagne
c’est pour APRES la cérémonie –, vous vous installez, essayant d’avoir l’air
digne avec votre verre de jus d’orange. La directrice du département s’approche
de l’estrade et débute un discours surement fort intéressant, mais auquel bien
sûr vous ne pinez que dalle. Vous avez néanmoins dépassé, depuis une petite
semaine, le stade où l’écoute de l’allemand provoquait hérissement de poils et envie
irrémédiable de vous ruer hors de l’endroit où vous vous trouviez en beuglant :
« non, pas la chaaammmmmmbreeeeeee !!!!! », alors vous convoquez
tous vos synapses valides afin de comprendre ce que la petite dame débite (ça
doit valoir le coup, le jeune homme à votre droite se gondole de rire ;
souvenez-vous néanmoins de toujours relativiser la portée internationale de
l’humour allemand). Mais voilà, au bout de 10 minutes d’intenses et peu
fructueux efforts, vous lâchez, une critique mentale en règle des tenues de vos
voisins ayant clairement plus d’intérêt que le blabla interminable en scène
face à vous. Mais malgré le peu de classe dont peuvent faire preuve nos amis teutons,
vous finissez par faire le tour de cet exercice. Et donc, après avoir tenté de
compter jusqu’à 15454658745 en allemand, de donner une estimation du nombre de
planches composant le parquet, ou essayé de vous rappeler vos cours de droit
fiscal international et tout particulièrement le fascinant fonctionnement de la
« fraude carrousel », une réalité vous frappe soudain : vous
êtes la seule personne un tant soit peu bronzée de la salle. Ça vous intrigue,
mais vous avez beau vous tortiller sur votre siège (et par la même occasion renverser
la fin de votre verre de jus d’orange), décidemment non, pas de cousins
éloignés à l’horizon. La dernière fois que vous vous êtes sentie si
« isolée », c’était pendant le concours de Normal Sup ; et
encore, même au milieu de la crème de l’élite française, on était 10, bowdel !
Bon, ne nous mentons pas, cette conclusion ne débouche absolument pas sur une
once de réflexion socio-ethnico-anthropologico-psychanalitique (faudrait pas
non plus trop utiliser ses neurones, ça les abime), mais quand même, ça ira
nourrir votre petit livret « les plus gros mensonges sur Berlin, ou
comment l’Allemagne essaie de nous la refaire à l’envers ». Vous finissez
par réussir à discrètement vous éclipser de la cérémonie. Vous vous avancez
vers la table de service pour espérer piquer un verre de champagne (qui
s’avèrera être du Sekt, une supercherie à bulles sensée être le champagne
allemand, et sûrement sujet d’une prochaine « idée reçue » ; le
monde doit savoir). Et là, vous levez la tête vers la serveuse ; métisse elle
aussi. La remarque est bien trop énorme, évidente et méchante pour ne pas être
faite, vous vous dirigez donc vers votre hôte/boyfriend/whatever, un sourire carnassier aux lèvres, et lui glissez comme
ça, l’air de rien : « c’est sympa chez vous, mais pour le multiculturalisme
faudra repasser! Enfin non, j’abuse, vous avez des étrangers pour le service,
c’est déjà pas mal, vue d’où vous partez. Aux States ils ont commencé comme ça
et regarde, maintenant y’en a même un à la Maison Blanche. Dans 100 ans qui
sait, peut-être que même vous vous en aurez dans la salle de cérémonie. Pour
recevoir un diplôme einh, pas pour passer le balais ».
Néanmoins, en s’avançant sûrement
beaucoup mais dans un esprit d’ouverture et de condescendance sur la
un-peu-retardée capitale allemande, notons au moins un avantage à être métèque
dans cette jolie ville. Amies d’ailleurs, vous êtes un être humain de sexe
féminin pas trop moche ? Que votre égo de femelle se rassure, car là où
pour vos amies aryennes, à ce qui se dit, et à moins de prendre des mesures
drastiques, le désert sexuel se profile à l’horizon (l’homme allemand, un autre
sujet de blague), vous n’aurez pas vraiment souci à ce niveau. Pourquoi ? Keine Ahnung. Ça doit être votre « exotisme »,
peut-être même un truc un peu primal du genre : « ça fait pas
longtemps qu’ils sont civilisés (et encore, qu’à moitié) ces gens-là, je suis
sûr qu’elle fait des trucs de ouf au pieux ». Une fois que vous aurez
compris que le mec qui vous matte avec une insistance tellement appuyée que ça
vous rappelle vaguement un ou deux épisodes d’Esprits Criminels, essaie
en fait tout simplement d’attirer votre attention et de vous signifier que vous
lui plaisez (sans forcément des envies de sociopathe derrière), et que vous
aurez accepté qu’il vous faudra toujours faire le premier pas (et oui, la perte
de couilles étant obviously le Mal
(sans mauvais jeu de mots) du Siècle, il faudra bien que des ovaires vous
poussent), la nuit vous appartiendra. Bon, il y a des désavantages certains à
ceci. Par exemple, la sacro-sainte vérité générale : « Berlin, c’est
génial parce que vu que personne ne matte personne, bah au moins adieu les
regards et remarques déplacés si chers à l’Homme français » ne se
vérifiera pas toujours. Autant dire que si vous n’avez pas été habituée à être
sifflée ou pressement suivie du regard à Paris, et bah vous avez encore le
temps passé à vous balader à Berlin pour vous y accommoder. Et puis, mentionner
l’évidence de votre sex-appeal en soirée sous-entend de plutôt futiles histoires,
agréables pour l’égo sans avoir de lendemain. Parait-il que pour garder un mec
ici, il faut s’armer de patience, être toute en nuances et avoir beaucoup de conversation.
Vous pensez : « mon cul, ouais !! » ? Vous aurez
sûrement raison. Encore une belle idée reçue berlinoise, sauf que vous, en
bonne française, on ne vous la fait pas : comme vous aimez à vous le
répéter dans un énorme éclat de rire entre amies (françaises), « une bonne
pipe, ça vaut tous les discours du monde ».
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