C'est encore une très froide nuit
qui s’annonce à Berlin, un autre de ces moments où le mercure se perd dans des
contrées arctiques, au sous-sol du thermomètre. Mais malgré le caractère
routinier de ces soirées polaires, ce vendredi est un Jour Nouveau pour
vous ; aujourd’hui, votre nuit ne se résumera pas à chercher un travail
(et par la même occasion un sens à votre vie), bader (conséquence logique de l’action
précédente), geeker, et finalement vous lancer dans le combo de la mort Vampire Diaries/Misfits/Breaking Bad/Sex
& The City jusqu’à ce que mort cérébrale s’en suive. En effet, comme
dirait Dexter (pour rester dans le
thème), « Tonight is the night ».
Non, vous n’allez pas sillonner la ville à la recherche d’un méchant à envelopper dans du plastique et à balancer en petits morceaux dans la Spree, mais le programme vous enthousiasme tout autant : on vous a invitée au cinéma. Youhou !! Ignorez superbement les remarques des sceptiques blasés qui ne savent pas ce qu’être expatrié signifie (« Un cinéma? Tu t’enflammes pour un cinéma ? Really ? Mais dis donc, elle est fantastique ta vie ! Tu l’as trouvée où, j’veux la même »). Ces imbéciles ne connaîtront jamais le plaisir démesuré que peut engendrer l’accomplissement d’une action anodine dans votre vie de tous les jours. A l’étranger (et qui plus est dans un pays dont vous ne comprenez pas la langue), un agissement bénin peut rapidement se transformer en une véritable victoire personnelle : par exemple, aujourd’hui, vous ne vous êtes pas évanouie et/ou n’avait pas vomi quand la caissière de Kaiser s’est adressée à vous. Votre cerveau a extirpé le mot « Tütte » de l’ensemble de borborygmes avancé, et l’a, en mois de 5 minutes – un record –, traduit par « sac ». Vous en avez donc déduit que la petite dame vous proposait une de ces merveilles recyclables dont vous faîtes sans le vouloir la collection sous votre évier. Vous avez même répondu « Nein, danke », et vous êtes repartie le sourire aux lèvres, la démarche aussi assurée que si vous clôturiez le défilé Victoria’s Secret et Eyes of the Tiger en fond sonore (le départ s’est néanmoins avéré rapidement problématique, car en réalité vous aviez vraiment besoin d’un sac. Pas grave, l’étape « je réfléchis avant de parler » sera pour la prochaine fois). Bref, aujourd’hui, c’est cinéma, youhou. Vous êtes en passe de découvrir qu’à Berlin, un simple film peut rapidement devenir une accumulation de scène pittoresques, singulières, voire absurdes. Démonstration.
Non, vous n’allez pas sillonner la ville à la recherche d’un méchant à envelopper dans du plastique et à balancer en petits morceaux dans la Spree, mais le programme vous enthousiasme tout autant : on vous a invitée au cinéma. Youhou !! Ignorez superbement les remarques des sceptiques blasés qui ne savent pas ce qu’être expatrié signifie (« Un cinéma? Tu t’enflammes pour un cinéma ? Really ? Mais dis donc, elle est fantastique ta vie ! Tu l’as trouvée où, j’veux la même »). Ces imbéciles ne connaîtront jamais le plaisir démesuré que peut engendrer l’accomplissement d’une action anodine dans votre vie de tous les jours. A l’étranger (et qui plus est dans un pays dont vous ne comprenez pas la langue), un agissement bénin peut rapidement se transformer en une véritable victoire personnelle : par exemple, aujourd’hui, vous ne vous êtes pas évanouie et/ou n’avait pas vomi quand la caissière de Kaiser s’est adressée à vous. Votre cerveau a extirpé le mot « Tütte » de l’ensemble de borborygmes avancé, et l’a, en mois de 5 minutes – un record –, traduit par « sac ». Vous en avez donc déduit que la petite dame vous proposait une de ces merveilles recyclables dont vous faîtes sans le vouloir la collection sous votre évier. Vous avez même répondu « Nein, danke », et vous êtes repartie le sourire aux lèvres, la démarche aussi assurée que si vous clôturiez le défilé Victoria’s Secret et Eyes of the Tiger en fond sonore (le départ s’est néanmoins avéré rapidement problématique, car en réalité vous aviez vraiment besoin d’un sac. Pas grave, l’étape « je réfléchis avant de parler » sera pour la prochaine fois). Bref, aujourd’hui, c’est cinéma, youhou. Vous êtes en passe de découvrir qu’à Berlin, un simple film peut rapidement devenir une accumulation de scène pittoresques, singulières, voire absurdes. Démonstration.
Tout d’abord, le cinéma en version originale. Pour vous parisienne, c’est une évidence absolue. D’ailleurs, le pauvre vendeur du Pathé Cergy doit se souvenir de la tornade verbale qu’avait déclenchée sa phrase : « on ne passe que des films en français» (« Nan mais c’est une blague ?? Mais comment vous voulez rendre les gens intelligents si vous leur balancez vos merdes mal traduites ?? Vous vous rendez compte de ce que ça devient Twilight en français ?? Non ? Et bah on passe de sous merde à… bah je ne sais pas en fait, c’est tellement catastrophique qu’on n’a pas encore inventé de mots pour ça ! !»). Vous avez même été au service programmation de Pathé pour leurs demander des comptes ; mais c’est une autre histoire. Bref, pour vous, toute métropole qui se respecte diffuse forcément ses films en version originale, encore plus quand on est une capitale, encore plus quand on est Berlin, la über-cool-city-trop-cosmopolite-de-la-mort-ouaou. Mais voilà, vous mesurez à nouveau à quel point la ville qui ne dort jamais adore et chouchoute cette « espèce humaine particulièrement relou qui nous envahit chaque jour un peu plus », le touriste : pas ou peu de cinéma en VO. La page de recherche Google est un désert aride, et à part à Potsdamer Platz, sorte de multisalles gigantesque cousin de la Défense, où le ticket coûte la peau des fesses, le quasi néant. Vous ne vous avouez néanmoins pas vaincue et continuez votre quête virtuelle. Après tout, il n’est pas né celui qui vous entubera sur une place de cinéma : à Paris, quand ce n’est pas la carte Navigo, c’est la carte étudiante, quand ce n’est pas la carte étudiante, c’est la séance à des heures improbables, quand ce n’est pas la séance à des heures improbables, ce sont les exonérations chourées au taf. Bref, where there’s a will there’s a lawyer (and a way). Mais après une heure d’intenses recherches, la sentence s’abat comme un couperet: le cinéma en version originale est un animal rare à Berlin. Et vous allez devoir dépenser 10 Euros, minimum. Votre porte-monnaie parisien hurle déjà au scandale.
Vous débarquez donc à Potsdamer Platz,
îlot de la pluralité langagière tout de fer et de verre vêtu. L’endroit paraît
futuriste, et pour peu qu’il fasse nuit (à partir de 16h quoi), les jeux de
lumière sur les vitres multicolores offre un patchwork étrange, une beauté métallique. Vous resteriez bien à
vous extasiez devant l’irréel spectacle qui s’offre à vous, mais Allemagne
oblige, on ne déconne pas avec les horaires.
Première remarque, mentionnons
qu’à Berlin les films en VO ne sont pas toujours sous-titrés, juste au cas où des individus
non bilingues auraient voulu s’instruire en visionnant l’œuvre dans sa véritable
langue. La ségrégation par le Verbe, un concept nouveau. De plus, autre
spécificité qui alimentera notre petit cliché sur la rigidité allemande, les sièges
sont numérotés. Alors bien entendu, ça vous fait méchamment glousser, et vous
poussez le vice jusqu’à vous installer à côté de la place qui vous était
attitrée. Énorme erreur, et le coup d’œil mitraillette que vous lancera le
véritable numéro 53 aura tôt fait de vous renvoyer sur votre véritable strapontin,
la queue entre les jambes (appuyé par le regard philosophe de votre
hôte/boyfriend/whatever :
« je t’avais prévenue. S’il y a des
numéros, c’est pour quelque chose. Don’t
fuck with the cinema seats » (un conseil : à Berlin, emmenez un
Allemand dans une salle non numérotée, et appréciez le spectacle de la
perdition que vous lirez sur son visage).
Le film commence. Avec trente minutes
de retard. On ne peut pas passer un amas considérable de pubs à la con et être
à l’heure. Sachez-le, à Berlin, le cinéma est le seul endroit où le
quidam peut se permettre quelques minutes de retard; tout particulièrement le cinéma de Postdamer Platz où se
trouvent une forte concentration de ces « tzalopeuries de tourisssstes ».
Donc le film commence. Vous n’aviez pas pris trop de risque et aviez opté pour Skyfall. Et c’est après une heure et
demie que l’affront ultime se produit, au moment où la main de Javier se balade
langoureusement sur la jambe de James, à l’instant donc où la tension est à son
comble, où le climax approche, bref, où vos ongles vont exploser les bras de
votre fauteuil. C’est à ce moment que le film s’arrête net. La lumière se
rallume immédiatement. Vous croyez à une coupure. Après tout, si le
projectionniste était aussi captivé que vous par l’écran, vous pouvez presque
l’excuser. Après trois secondes de réflexion vous entrevoyez néanmoins la
stupidité de cet argument, car un an de travail dans une compagnie de cinéma
vous aura au moins fait comprendre qu’avec le numérique, pas de bobines à
changer. Du coup, vous regardez frénétiquement autour de vous, attendant l’appui
d’autres regards aussi éberlués que le vôtre. Mais non. Au lieu de cela, des
visages paisibles, des gens qui commencent à bavarder, d’autres qui se dirigent
vers la sortie. C’est une énorme blague, ça ne peut qu’être ça. Vous vous
tournez donc, un peu plus abruptement que vous l’auriez souhaité, vers votre
hôte/boyfriend/whatever occupé à se
fendre la poire avec ses amis comme si de rien n’était, et demandez (également sur
un ton clairement plus aiguë et agressif que prévu) : « Et donc c’est
fini ? On revient demain ? C’est vrai qu’avec les numéros de places,
on risque pas de se les faire piquer ». Mais à votre grande surprise, celui-ci
vous dévisage, un brin agacé : « Ahaha très drôle »… et c’est
tout. Vous attendez la suite, mais il s’est déjà replongé dans sa passionnante
conversation. La température déjà tropicale augmente un peu plus de votre côté.
Vous tapotez donc son bras afin d’attirer de nouveau son attention (vous dîtes
« tapoter », il dira sûrement « frapper ». La chochotterie
masculine ne connait aucune limite) : « Comment ça, très drôle ?
Nan mais qu’est ce qui se passe là ? Il est où le film ?? ». Et celui-ci
vous rétorque dans un ton d’absolue évidence : « Et bah quoi, c’est
la pause ! Le film fait plus de 2h30, il faut bien que les gens aillent
pisser, manger, se défoncer, qu’est-ce que j’en sais moi ! ». Là,
vous devez reconnaître, cette réponse vous la coupe net. Vous vous enfoncez donc
dans votre siège, au ralenti, histoire de reprendre votre souffle. Vous
entendez le sang battre vos tempes, percevez de plus en plus nettement les
premières notes de Psychose dans un
recoin de votre cerveau, une sueur froide coule le long de votre échine. Non
seulement vous venez de vous faire royalement renvoyer dans les cordes, mais en
plus, oui vous avez bien entendu, ils (on ne sait jamais qui sont
« ils ». C’est le principe paranoïaque de la théorie du
complot : saloperie de terroristes cinématographiques, ils sont
PARTOUT !!) font une pause pendant un film. Ils ont osé, sans prévenir,
couper James Bond. Tout ça pour que Bertha puisse allée bouffer des pop-corn
alors qu’objectivement elle ne devrait pas, et que Günther puisse aller pisser
(ou se défoncer, pour supporter l’hypothétique prise de poids de Bertha). Ça
n’a pas de sens. C’est de la provocation. C’est une attaque personnelle. Vous
vous retournez à nouveau vers votre hôte/boyfriend/whatever, interrompez brutalement (vous dîtes
« brutalement », il dira « comme une harpie hystérique »)
sa conversation avec numéro 58, et demandez (vu le volume de votre débit,
l’ensemble de la salle est clairement convié à rejoindre le débat) :
« Une pause ? Une PAUSE ? Genre il n’y a que moi qui trouve ça
INACCEPTABLE ? Tu payes 10 euros pour une putain de pause ? Et pour
20 euros y’en a deux ? Et Titanic, il est coupé combien de fois ? Trois ?
Putain, Bertha a le temps d’avoir pris 10 Kg de pop-corn avant de le voir
couler, ce putain de bateau (« t’as besoin de gueuler et de dire
« putain » dans chacune de tes phrases ?? »)… C’est quoi
ici, Becket 2.0 ? Le remake de En
attendant Godot, AKA « En attendant que le film recommence et qu’on
sache si Javier va sauter James » ?? ». Et là, votre
hôte/boyfriend/whatever vous sort LA
phrase qui tue, uppercut balancé dans un haussement d’épaules à demi
indifférent : « de toute façon, c’est comme ça ». Encore une
fois, ça vous la coupe, et ce n’est peut-être pas plus mal, car une panoplie
interminable de remarques plus drôles les unes que les autres (vous dîtes
« drôles », il dirait « complètement déplacées, gratuites et
méchantes ») sur le comportement allemand pendant les années 40 illustrant
parfaitement la sacrosainte « de toute façon, c’est comme ça » défile
dans votre esprit. Vous vous renfrognez donc, fusillez du regard un Günther que
votre laïus a effrayé et qui a préféré faire le tour des gradins plutôt que de
devoir vous croiser, refusez de ranger vos jambes quand votre hôte/boyfriend/whatever et ses amis décident également
de profiter de la pause sacrilège. Vous pensez à écrire une lettre de
réclamation (d’insultes), et puis vous vous souvenez que vous ne savez pas écrire
allemand ; en somme, vous faîtes votre française.
Bref, vous avez testé le cinéma à
Berlin ; et apprécierez d’autant plus vos folles soirées Vampire Diaries/Misfits/Breaking Bad/Sex
& The City.
nb: dans un soucis de bonne foi minimale, il existe bien d'autres cinémas en version originale à Berlin (mais moins qu'à Paris), cinémas qui utilisent même des sous-titres, oui oui. Par contre, c'est toujours aussi cher. Même Berlin se doit d'avoir quelques défauts.
by Juju.
nb: dans un soucis de bonne foi minimale, il existe bien d'autres cinémas en version originale à Berlin (mais moins qu'à Paris), cinémas qui utilisent même des sous-titres, oui oui. Par contre, c'est toujours aussi cher. Même Berlin se doit d'avoir quelques défauts.
by Juju.
Article qui m'a bien fait rire mais.... je conseille le Central Hackescher Markt Kino, geil comme on dit par-ici avec une voix bien caverneuse.. Films sortis depuis belle lurette ou actuels, le mardi (Kino tag ;) c'est 5,5€ pour tout le monde et sinon c'est 6€ pour les étudiants. Certes ça ne vaudra jamais les 4,90€ de l'UGC Bercy ou du MK2 Bibliothèque François Miterrand mais tout de même le ciné est mimi dans l'genre, niché au fond de sa petite cour (à côté du Café cinéma ;)
RépondreSupprimerBonne continuation !
Gab
Merci beaucoup Gab pour cette info (bon faut avouer que de base, c'était pas l'article le plus objectif du monde :)), on va se jeter dessus dès ce week-end ! Bonne continuation à toi aussi!
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