mercredi 6 mai 2015

#Interview Jule, le Berlinographe


Un petit coup de foudre. Une décharge littéraire. Un amourachement à distance, entre les pixels et les kilomètres. C’est l’effet que m’avait fait le Berlinographe. De retour dans l’existence monochrome et légèrement névrotique parisienne, je scrutais au loin, en filigrane, la blogosphère berlinoise. Au loin et avec défiance, évitant la violence des souvenirs, Berlin c’était quand même ubercool, et je n’avais pas exactement choisi de la quitter; de ces fins de relation nécessiteuses, où il aurait fallu se perdre consciencieusement pour que cela «fonctionne », et où l’on a - malheureusement ou non - à demi joué. Une fin parasitée et précipitée par un environnement laborieusement inutile. Donc scrutage. Et puis il y a eu Jule.  

Il y a déjà eu ce nom - on est toujours au moins inconsciemment attiré par ce qui nous ressemble. Il y a eu ce nom, associé à cette chevelure blonde. Curiosité et sourire piqués au vif; l’archétype du féminin moderne surmonté d’un patronyme de conquérant couillu, ça en jette. Et même s'il est de bon ton de feindre l'indifférence face au « trouble dans le genre »,  trouble en frenchies signifie aussi bien la confusion que le fait d'avoir des ennuis. De l’importance du jeu. Jule semble joueur, et j'aime jouer: en avant la lecture. Dans le premier texte qui me choisissait, Jule épiait un loup. Plus aux aguets que lui ne devait l’être, elle attendait qu’il deigne sortir de son bois. L'acuité de la figure filée m'avait violemment frappée, parce que j’adore cet animal et puis parce qu’à ce moment sûrement, moi aussi j'épiais, avec la patience stupide de l'amoureuse transie, un loup. Le juste de l’image irisée par cette écriture poétique, la tristesse du réel magnifiée par la beauté des formules. De là je dévorais le blog, me baladant entre la froideur de l'asphalte humide, la chaleur des rayons de Friedrichshain, ou la moiteur bariolée des errances claustro au sein des salles du Renate. Et à nouveau, dans le frisson de quelques lignes, je frôlais Berlin.

Dans le Berlinographe, pas vraiment de bonnes adresses veggie ou de conseils pour selfiser au Berghain. Jule prend la température du décor et personnage principale Berlin au gré d’aventures glanées au fil de ses pas. La ville jaspée s’y dévoile subtilement, elle transparaît entre les caractères de récits ou la poésie étreint  alègrement le trivial, la légèreté de promenade estivale embrasse la lourdeur industrielle du son de club, la fraîcheur des liqueurs se rompt sur la brûlure du sang. Jule est multiple, cynique, drôle, mélancolique, belle, timide, garce, masculine et maligne. Comme Berlin. Je ne vis plus dans la ville, mais le Berlinographe m’y ramène implacablement, d’une bien belle manière. Dans mon souvenir, comme j’adore me plaindre, Berlin peut être rugueuse, faussement honnête mais vraiment méchante, difficile et froide. Jule, avec son romanesque rythmé et son surprenant phrasé réchauffe ma mémoire, et y substitue une image bien plus exacte que ce que le spleen se plait à me faire croire.



Qui est Jule eigentlich ?

Jule a l'air multiple. Comment le/la résumer en trois mots?
Passionnée, Berlinoise, Mélancolique.

Quand es-tu arrivée à Berlin?
Août 2012.

Quels chemins t'y ont amenée? Coup de foudre immédiat?
C’était le début de l’été, je me morfondais à Paris où je venais de finir mon stage, j’avais besoin de vacances, bref je voulais partir à Barcelone. J’ai pas trouvé de copines pour partir avec moi, ça me saoulait d’y aller seule, j’ai réfléchis à une autre destination et j’ai pensé à rendre visite à ma cousine (et meilleure amie d’enfance) qui habitait à Berlin avec son copain. J’ai débarqué début juillet, les oiseaux chantaient, l’eau du badeschiff était chaude, et ses amis Berlinois ont pris mon séjour en main. Après avoir passée une matinée à traînasser à Görli ils m’ont emmenée faire un tour dans Freidrichshain, Sonntagstraße, Boxhagener Platz… Je me revois leur dire « mais ça doit être tellement génial d’habiter ici », et trois semaines plus tard j’habitais là.

Comment ta relation avec la ville a-t-elle évolué ? As-tu été témoin des changements dont tout le monde parle?
Oui, rien qu’en l’espace de deux ans j’ai l’impression que tout a changé. Tout d’abord les prix : l’été où je suis arrivée je mangeais avec ma cousine et son équipe le midi, et au fil des mois tous les snacks où l’on mangeait pour 2-3€ ont fermé un par un pour rouvrir avec des prix doublés. Ce qui m’a également beaucoup marquée c’est la présence de plus en plus fréquente d’étrangers. A l’hiver 2013 je me rappelle m’être fait la réflexion dans le métro que « tiens, ça y est l’été est passé, je n’entends plus que de l’allemand dans les transports en commun », et rien qu’en 2014 je me suis dit « tiens, les touristes sont toujours là en novembre ?! »; maintenant c’est la routine d’entendre au moins une langue étrangère à chaque fois que je rentre dans le métro, voire systématiquement du français.

Ma relation avec la ville n’a pas tellement changé par contre. Je me suis sentie tellement bien accueillie, tellement « à la maison » dès les premiers jours que rien n’a changé de ce côté-là, puisque Berlin pour moi c’est bel et bien « la maison ». J’apprends à la connaître, comme toute relation amoureuse je crois. Je l’aime et me réjouis de la découvrir un peu plus chaque jour.

Que préfères tu dans Berlin? Si tu devais résumer la ville en quelques mots?
Ce sentiment constant de liberté, cet espace, partout, ce calme. C’est cool à Berlin, on ne se prend pas la tête. « Cool », pas de stress, ça va le faire. Ce sentiment d’un dimanche passé en terrasse d’un café sans prétention, en plein centre de Kreuzberg avec la sensation d’être au village, les voisins, les ados qui jouent au basket, les enfants sur leur vélo… Capitale du cool. 



Le Berlino quoi ?

Comment ou pourquoi as tu débuté le Berlinographe? Pourquoi "Berlinographe"?
J’ai vraiment commencé à écrire « consciemment » courant 2011. Des pièces de théâtre puis des poèmes, une autre pièce de théâtre, des textes courts (les « Portraits de Voyage ») inspirés par Berlin… Et sans cesse la même question : « où est-ce qu’on peut te lire ? ». J’ai un site personnel, mais davantage « vitrine » car je n’ai pas très envie de mettre en ligne l’ensemble de mes textes –of course. Donc on m’a beaucoup demandé « mais pourquoi tu n’écris pas un blog ? ». J’en lisais peu et je n’estimais pas que ma vie et mon avis aient un si grand intérêt pour le lecteur.
Et puis j’ai écrit un texte un jour, que je ne savais pas où mettre. Ni une poésie, ni un portrait de voyage… Une petite histoire, un moment de vie berlinois. Le même jour je tombais sur la page de Mondoblog et du concours pour entrer dans la communauté. Je me suis retrouvée à postuler un peu à l’arrache, avec ce texte car c’était le dernier jour pour candidater, en disant que je voulais tenir un blog littéraire. Pas de « billet d’opinion » mais des histoires courtes. J’ai été prise, et parce que j’aime m’engager, je me suis dit que j’écrirais un texte par semaine, ce qui était aussi un très bon moyen de « travailler » en tant qu’écrivain en devenir.

Quels sont tes sujets de prédilection?
Mes émotions. Pour quelqu’un qui ne voulait pas raconter sa vie c’est raté n’est-ce pas ? Mais c’est tout ce que je sais faire. Écrire l’émotion. Que ce soit dans les textes de théâtre, les nouvelles, ou même dans la photo, je n’ai toujours su que travailler sur l’émotion, l’instant présent. Ce moment si fortement ressenti, si intense qu’il doit être transcendé pour être digéré. Pour révéler toute sa puissance. Alors j’écris.
Du coup mes sujets de prédilection varient en fonction de mon quotidien.
J’ai beaucoup écris sur la drogue à un moment, puis sur les hommes qui sont entrés dans ma vie, maintenant je suis plutôt sur les définitions mathématiques… (Rires).

Tes textes sont toujours très écrits, il y a un côté poético-romanesque dans chacun des textes de Jule, plutôt rare et délicieusement appréciable dans le style "blog". Etait-ce un choix d'écriture? Ou une évidence au fil du temps? As-tu toujours opéré ainsi?
Ce n’est pas un choix, une « évidence » oui si tu veux. Disons que c’est mon style, j’ai du mal à écrire autrement. J’ai essayé, j’ai essayé de faire dans le neutre objectif quand il m’est arrivé d’écrire des articles pour vivreaberlin ou rue89, mais soit j’ai très vite arrêté car je m’ennuyais, soit mes textes ont été légèrement retravaillés ou simplement coupés quand il devenait trop personnel. Je n’écris pas avec ma tête…

Et ce spleen vaporeux et lancinant qui parcourt le Berlinographe, ce frisson... Effet recherché ou naturel assumé?
Naturel assumé !
En tout cas si je parle au nom de Jule ! Moi, le spleen je connais mais je ne m’y noie pas.

Parlons d'Atmosphère Berlinoise. Comment cette aventure a-t-elle commencé? Quel rapport entretiens-tu avec la radio?
Le Berlinographe fait partie de la communauté internationale de blogueurs francophones « Mondoblog », gérée par l’Atelier des Médias de Radio France Internationale. L’année dernière j’ai eu la chance d’être conviée à leur formation annuelle et c’est comme ça que j’ai découvert l’univers de la radio. Ça a fait tilt en moi car j’ai découvert que c’était un média qui regroupait toutes mes facettes : la créative, qui veut partager une émotion, une atmosphère, la technicienne, qui se régale à faire de la programmation ou de la retouche photoshop, et la business woman, qui gère son planning et ses rendez-vous. J’ai eu l’idée de lancer Atmosphère Berlinoise, je me suis formée en quelques heures au montage et à la prise de son, et c’était parti pour 7 émissions mensuelles. J’ai rejoint Gramofon FM, la webradio de Yannis Papé avec qui le courant est très bien passé. Si bien que nous co-présentons désormais Passez le Mur, une émission musicale sur 88.4 FM à Berlin chaque mois.
J’aime beaucoup la radio, comme j’aime la photo ou l’écriture, j’adore explorer les medias de l’émotion, pour partager, toucher l’autre.



Berlinpinpin et co

Comment Berlin influence t elle ton écriture, tes productions?
J’y vis, je vis Berlin, ça suffit. Il se passe quelque chose, une rencontre, une soirée, ou juste des sensations. Je ne me lasse pas par exemple, d’écrire sur le plaisir de filer en vélo à travers la ville, musique dans les oreilles, le soleil qui brille.

Tu nous racontes la dernière folie que la ville t'a permise de vivre?
« Folie »… J’ai envie de dire que la « folie » est dans l’œil de celui qui la regarde ! Tout simplement passer l’après-midi en terrasse sur la hasenheide, cinq heures à écrire, lire, discuter avec des amis qui m’ont rejoint pour un café, pieds nus parce qu’il faisait vraiment chaud, et prendre un coup de soleil sur le nez. Et une bonne insolation. Folie d’une capitale si cool qu’on peut se permettre de squatter une terrasse de café pieds nus toute une journée sans que personne ne lève un sourcil.

Quels sont tes projets? Qu'en est il du Berlinographe?
Le Berlinographe se nourrit de lui-même. J’ai eu un peu peur l’an dernier en revenant d’Abidjan où la formation avec Mondoblog-RFI a eu lieu car j’ai arrêté de m’imposer le rythme d’un texte par semaine, et pendant l’été et à l’automne j’étais plutôt sur un texte par mois. Mais je me rends compte que le Berlinographe est devenu un refuge, une présence, Jule une amie, j’y reviens avec plaisir, sans obligation, et c’est très agréable. Une bulle de mélancolie dans un présent parfois assez speed.
Mes autres projets : je travaille actuellement avec Yannis et l’équipe de l’émission Passez le Mur qui en plus d’être diffusée à Berlin, l’est aussi à Nantes sur 101.3 FM. Mais surtout je travaille à mon nouveau roman. Le premier, Revenante, est enfin publié et en vente, j’ai donc l’esprit libre pour le second. J’espère le terminer avant l’été.

Quand Jule n'écrit pas, que fait il/elle?
Quand Jule n’écrit pas, Julie prépare ses émissions de radio, crée des podcasts sonores, prend du plaisir à rencontrer les vraies personnes derrière les personnages du Berlinographe, et surtout Julie est serveuse quatre soirs par semaine !

Mini questions
Ton bar préféré?
Le Pony Saloon dans la Dieffenbachstr. pour boire et jouer au billard, ambiance festive, et le Macondo sur la Boxhagener Platz pour boire du vin, ambiance tamisée.

Ton quartier préféré?
Le Kreuzkölln qui parle allemand.

Ton restaurant préféré?
On m’a emmenée récemment dans le somptueux Pauly Saal… Mais sinon mon porte-monnaie me nourrit plutôt dans des cafés, et là je répondrais le Floor’s dans la Schönleinstr.

Ton magasin préféré?
Jean & Lili dans la Dieffenbachstr.
Mais si, je vous assure que je sors de mon quartier tous les jours pourtant !

Ton club préféré?
Le Berghain. Sans hésiter. On m’y a emmenée dans mes tous premiers jours à Berlin, je ne savais absolument pas où je mettais les pieds, je n’en avais jamais entendu parler et je déteste les « boites de nuit » à la française donc j’étais assez réticente, mais jamais je n’oublierais l’électrochoc et le plaisir qu’a été cette première soirée là-bas. Un peu ma madeleine de Proust berlinoise…

Ton musée préféré?
La Helmut Newton Stiftung.

Ton endroit cocooning/escapade loin du monde préféré?
Alt-Tegel. J’ai découvert le lac avec un ami Berlinois qui m’est cher, c’était un soir d’automne comme on les aime, où il fait froid et l’on se sert l’un contre l’autre en marchant. On a fini la journée en traversant un bout de forêt qui nous a conduit au grillage qui délimite l’aéroport. Assis sur un tronc d’arbre on a regardé les avions décoller. Magique.

Ton auteur allemand préféré?
Patrick Süskind, pour der Kontrabass, un de mes livres référence.

Ton musicien allemand préféré?
J’ai énormément ri en écoutant les chansons de Raket One que j’ai beaucoup utilisées pour Atmosphère Berlinoise.

Ton conseil pour apprendre l'allemand sans devenir taré?
Se retrouver au collège dans les cours de la fantastique, l’icône, Madame Bonnet, meilleur professeur du monde, réputation in-ter-na-tio-nale ! Du moins autour de mon village – mon côté marseillais sans doute.

Un conseil drague auprès du berlinois?
Oublier très vite l’idée qu’après un échange de regards fièvreux il vous plaquera au mur au son d’une musique techno transcendantale pour le baiser du siècle. Chargez-vous rapidement de l’appeler vous-mêmes, l’amener dans le club, le faire boire et le plaquer au mur. Si vous avez de la chance il vous rendra peut-être votre baiser, sinon, persévérer.

Ton expression/mot allemand préféré?
Genau. Que j’ai longtemps confondu avec « Natürlich » donc en tant que serveuse je l’utilisais à peu près toutes les minutes dix. Ja genau !

Ton insulte allemande préférée?
Der Typ ist total bescheuert ! Be-scheu-ert !

Vous pouvez lire Jule/Julie/Juliette/Juuu.... sur le Berlinographe, sur rue89 ou sur son site éponyme; vous pouvez aussi l'écouter passer le mur embarquée sur soundlcoud ou vous re délecter des Atmosphères Berlinoises.

Et surtout vous pouvez vous procurer son livre ici






1 commentaire:

  1. C'est étonnant de se dire qu'il y a plein de nouveaux blogueurs berlinois interviewés alors que les vieux de la vieille, genre le Berliniquais ou Gonzague Loumintope, qui vivent ici et écrivent sur la ville depuis des années sont systématiquement oubliés. Vous me direz sans doute qu'on n'a pas besoin d'écrire sur eux, vu qu'ils ont déjà une certaine réputation. C'est pas faux.

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