samedi 27 juillet 2013

Portrait II - Michael von H. par Frédérique Lanquetin

Peut-être aurais-je du me méfier. C’est selon. Je débarquais à Berlin le 1er octobre 2012, soucieuse de trouver un lieu au plus vite où je puisse d’emblée peindre et m’installer. Je venais de quitter Pau, un lieu ou je m’étais vu sombrer corps et âme dans une prison bordée des Pyrénées. Berlin, c’était l’échappatoire, la porte de sortie et la ville de mes ambitions, artistiques il s’entend.

                   

Je partais pourquoi ? Peut-être par orgueil, selon mon psychanalyste, plus par instinct de survie. Depuis 3 ans je ne travaillais plus, dévouée à la peinture et maintenant, il fallait que cela évolue, que cela se voit et prenne du sens. Welcome in Berlin, je ne parle pas allemand mais de la folie écossaise j’ai gardé mon anglais, bien le plus précieux de ma nouvelle existence.
A l’arrivée, il fallait d’urgence un espace, un atelier, surtout ne pas s’interrompre, préserver la créativité, ne pas laisser prise à des blancs, à l’angoisse du vide. C’est là que j’ai vu l’annonce, en fait un peu avant, encore en France. Je n’y ai rien compris. Il avait un fils, il vivait avec, il travaillait dans l’atelier d’un grand artiste et pratiquait le yoga. Ou ça ? Charlottenburg. Pas sexy m’a dit un ami. J’avais besoin de savoir où poser mes toiles, alors je l’ai rencontré malgré tout.
Au premier abord, il était très allemand, physiquement. Grand, sec, le visage carré avec une certaine classe, une présence aristocratique en accord avec son ascendance. Il n’avait pas d’enfant, son « fils » c’était deux chats. Bars et Max, matous au pelage noir que j’allais apprendre à détester/aimer/en avoir rien à foutre. Ces chats, c’était sa vie, repliée sur cet appartement confortable qu’il ne quittait jamais. Pas de grand artiste à l’horizon, mais une vraie sensibilité, développée dans un atelier à Kreuzberg. Les lieux étaient corrects, j’avais besoin de tranquillité pour m’adapter et peindre : j’ai signé pour vivre avec cet homme de 61 ans, sans noter ses cernes, son renfermement.
Le quotidien me l’a montré sous le jour cru d’une intimité sans désir. Michael en robe de chambre est là tout le temps. Michael ne quitte jamais cet endroit. Michael est là le matin, le soir, les week-ends, tous les dimanches. A tout moment, je le vois. Il attend obsessionnellement que je partage ma nourriture avec lui, il écoute les histoires de bureau, donne des avis pertinents sur les tableaux que je réalise et laisse l’espace du couloir jusqu’à ma chambre être envahi de sa névrose. Elle me bloque les chakras. Elle m’étouffe, je le sens partout, autour de moi, un peu fou, incompréhensible, vétilleux sur de simples choses. Et les chats ? Les chats n’en parlons pas, il faut les nourrir à sa place et c’est que leur bouffe pue, elle me dégoute. J’ai l’impression de prendre Michael en plein dans la poire. Il entre dans ma chambre à tout moment, que j’y sois ou pas, fouille dans mon armoire, dans mon linge sale. Ces intrusions sont constantes et il se joue les termes d’un huis-clos qui me voit devoir supporter, stoïque, ses commentaires sur ma vie sexuelle, sur les toilettes, au-delà du principe de l’intime.
Il m’imprégnait tant, il s’était tellement incrusté en moi qu’il fallait que je le peigne. C’était un besoin vital pour me décharger de lui, rétablir l’équilibre psychique d’une balance interne troublée de son propre mal-être. Le regard qu’il pose sur moi à travers la toile n’était pas celui de sa pose. C’est celui qu’il m’a lancé quelques semaines plus tard, au moment du départ, en découvrant une tache sur la moquette que j’avais tenté de masquer. Comme une prémonition de ses heures les plus sombres.

Michael von H.
Acrylique sur toile
20x30cm
2013


nb: un immense merci à Frédérique pour ce superbe portrait. Jetez-vous sur sa page Facebook ICI.



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