dimanche 10 février 2013

J'adore l'allemand. Sans déconner.

L’apprentissage ou le perfectionnement d’une langue se trouvent généralement en pôle position dans le palmarès des meilleures raisons pour déménager dans un autre pays ; ce postulat peut sans rougir faire office de vérité générale. Vous avez donc tenté de motiver votre départ à Berlin par un franc : « les mecs, dans six mois, je suis bilingue ! ». Et à ce moment, pleine de bonne volonté et de naïve (ou stupide) candeur, vous y avez cru. Et vous avez déchanté. 

Très rapidement. Dans ces moments de questionnements existentiels vertigineux où il vous semble que seule une action extrême répondra à l’abysse qui s’ouvre devant vous et que l’on appelle communément « devenir adulte », ne comptez malheureusement que sur vous-même. Vous ne pouvez décemment pas vous reposer sur vos amis ou votre famille, toujours là pour vous soutenir dans les projets les plus débiles (« Tu veux aller choper des graines de beuh en Afghanistan pour mettre en place un trafic de drogue en France et envahir le marché mexicain ? Mais c’est pas mal du tout ça dis donc ! », « Un petit voyage à Fukushima ? Ah oui c’est le bon moment, je pense que tu vas trouver des billets pas chers », « Mettre tes doigts dans la prise ? Oh moi je n’essaierais pas mais vas-y toi »), quoi que leur petite moue affolée ou leur silence gêné à l’annonce de votre départ auraient dû vous faire tilter. Mais dans le tourbillon d’endorphine déclenché par l’éventualité d’une nouvelle vie pleine d’aventure, d’amour et de currywurst, vous n’y avez pas prêté la moindre attention. Pourtant, d’autres signes plus évidents auraient dû vous mettre la puce à l’oreille. La réaction de votre dernier patron par exemple, qui, à l’annonce de votre déménagement pour la ville pauvre mais sexy n’a pu réprimer un immense éclat de rire, avant de vous dévisager la mine mi amusée mi sarcastique : « pour apprendre l’allemand ? Vraaaiiiment ? Bon on n’est pas intime, mais je vous avoue que me dire « pour me biturer la ruche tous les soirs » aurait été bien plus crédible ». Ça vous avait un peu étonné et piqué au vif. Après tout, ce dernier vous avait bien cru quand, lors de votre entretien d’embauche, vous lui aviez déclaré, pleine d’aplomb : « ah mais absolument, rester le cul vissé sur une chaise dix heures par jour pour rédiger des contrats, c’est ma passion dans la vie. J’aspire à une relation passionnellement exclusive avec mon ordinateur, mon « Journal officiel des lois & décrets » et mon Code de la propriété intellectuelle ». Et là, il doute. Étrange  Autre indice encore plus concluant, lorsque votre unique amie berlinoise vous a demandé : « mais pourquoi tu veux apprendre l’allemand, en vrai ? Je suis toujours curieuse quant aux raisons qui peuvent pousser quelqu’un à s’infliger ça ». Pourquoi en effet ? Après tout, vous avez la vie devant vous et l’arrogance de la jeunesse. Quitte à tremper dans le moyennement réalisable, vous auriez pu tout plaquer pour investir l’Upper East Side, commencer une brillante carrière de dresseuse de poulpes et vous lancer à corps perdu dans une relation absolument dépravée avec Ryan Gosling (et Eva Mendez, parce que vous n’êtes pas contre un peu plus de partage en ce bas monde). Mais vous avez préféré vous tirer à Berlin, pour apprendre l’allemand. Chacun son truc.
Nous ne tenterons même pas ici de dresser le palmarès « les 5 bonnes raisons d’apprendre l’allemand ». Vous pouvez essayer, mais gageons que vous n’y parviendrez pas.


Il y a néanmoins des niveaux de débilité quant aux raisons qui ont pu vous pousser dans cette bizarre entreprise. Déménager à Berlin parce qu’après 10 ans d’apprentissage vous êtes toujours infoutue d’aligner convenablement deux mots et que vous voulez y remédier est un projet très noble, presque compréhensible. Mais le dit projet peut également résulter d’une logique beaucoup moins acceptable. Prenons la situation où vous avez toujours refusé d’apprendre cette langue, où son écoute provoquait urticaire ou sueurs froides, et où vous vous moquiez à gorge déployée de vos petits camarades suant sang et eau sur leurs déclinaisons. Si vous avez fait une prépa, les notes négatives de vos collègues germanistes aux versions et autres joies de la traduction vous ont confortée dans votre choix hispanique; déjà qu’avec un peu de chance vous vous êtes tapée du latin pendant une dizaine d’années, pas la peine de rajouter une lanière au fouet du masochisme langagier. Mais voilà. Pour une raison quelconque (amour, accès de folie, masochisme pathologique, passion pour les challenges inutiles, les quatre à l’unisson), vous finissez par apprendre l’allemand. Vous qui pensiez avoir « au moins échappé à ça » durant votre parcours scolaire vous retrouvez dans la situation la plus tragi-comique qu’il soit : devoir vous confronter à la langue d’Anguéla tout en vous rappelant la torture endurée par vos camarades teutonphiles. Mais ce n’est pas grave. Sie werden Deutsch lernen. Quelques petits conseils pratico pratiques pour traverser cette épreuve sans sombrer dans la folie furieuse, et avant que le désir de retourner manu militari en France ne piétine sauvagement vos bonnes résolutions.

La résignation.
Ne vous battez pas avec la langue. Elle aura raison de vous bien avant que vous n’ayez pu achever le grand travail de civilisation napoléonien en envahissant une bonne fois pour toute l’Allemagne et en (ré)instaurant le français comme parole européenne unique. Tout comme un martyre acceptant sereinement son tragique destin, endurez la difficulté sans broncher. Le champ d’application de la méthode Coué est malheureusement drastiquement circonscrit. Il apparaît en effet improbable (à moins d’être continuellement sous l’influence de petites pilules qui rendent heureux) de lucidement parvenir à se persuader qu’apprendre l’allemand était, avant même l’invention du legging polaire, la meilleure idée du monde, que sa cote de popularité internationale va bientôt renvoyer le chinois au rang de langue morte, que finalement quatre déclinaisons, des verbes à particules détachables en-veux-tu-en-voilà et des mots imprononçables ce n’est pas grand-chose, et que ça va donner le coup de pouce du siècle à votre CV, Bill Gates n’a qu’à bien se tenir. Non, raisonnablement, l’auto persuasion trouve ses limites. Oui, j’apprends une langue complexe, agressive à l’oreille et parfaitement inutile, oui, et j’aime ça. Répétez le haut et fort, criez le à la face du monde.

Regardez Arte.
Si vous êtes adepte des soirées abandonnées à la célébration du trio infernal pilon/vin rouge qui tâche/TV, visionnez des documentaires en allemand. Ils prendront immédiatement une dimension quasi métaphysique.  Ou Germany's Next Top Model. Plus sérieusement, tentez, dans la mesure du possible, d’allier « l’utile » (en partant du postulat que ce que vous faîtes est utile, ce qui est vous en conviendrez, discutable, mais passons) à l’agréable. Matez-vous Inglorious Basterds en boucle. Mieux, achetez-vous l’intégrale de Tarantino en allemand (comme ça, lors d’une de vos escapades nocturnes, vous serez à même de sortir à votre prétendant berlinois de la soirée: « Are you gonna bark all day little doggy, or are you gonna bite ? » en allemand. Si le dit prétendant n’est pas trop con, il comprendra l’invitation sexuelle, et sinon vous aurez eu votre moment de classe internationale en débitant du Michael Madsen in German, please). Apprendre l’allemand sera même l’occasion de redécouvrir des petits bijoux engendrés par le cinéma teuton (La Vie des AutresFaustLes Ailes du DésirHerr LehmannMétropolis, le récent Oh Boy! ou encore Dark Side of the Moon (non, celui-là c’est parce qu’il parle de Nazis cachés sur la lune et que c’est de fait assez marrant. Si vous avez besoin d’une meilleure justification pour le visionner, trouvez la version allemande)). Prêter l’oreille à la radio allemande. Outre la qualité indéniable de cette dernière (Radio Eins 4Ever), l’écoute présente un avantage double : vous vous habituez aux douces sonorités germaniques et, si vous êtes futée, vous trouverez l’équivalent d’NRJ et autres diffuseurs de sons cheezy. Comme ça, quand votre hôte/boyfriend/whatever déboulera excédé dans la chambre commune en exigeant que vous éteignez, je cite, « votre musique de merde », vous pourrez répliquer en toute innocence « mais Liebling, j’écoute de l’allemand, je m’exerce, je fais des efforts ». Et continuer à écouter votre musique de merde.

Observez votre chat (et si vous n’en avez pas, ça vous donnera une justification pour perdre trois heures sur Internet à regarder des vidéos félines bidons).
Non pas pour sa grâce, mais plutôt pour son sens accru de la mise à l’amende. Bref, si vous avez la chance de vivre avec un félin passablement névrosé et agressif envers des ennemis invisibles, vous aurez pu apprécier la ressemblance entre le bruit émis par votre chat dans ses accès de colère et le fameux « ch » allemand. La prochaine fois que votre matou vous crachera dessus sans raison, plutôt que de le poursuivre un chausson à la main en professant les pires menaces, tentez de reproduire le son. Avec un peu de chance votre chat recommencera à vous crachez dessus et vous pourrez continuer votre petit dialogue jusqu’à ce qu’une prononciation parfaite s’en suive.

Faîtes l'amour et la guerre
Se lancer à corps perdu dans une relation pationelle vouée à se terminer dans les larmes et el sang avec un teuton, qu'elle plus belle manière d'appréhender l'allemand.

Ecoutez Rammstein.
Si le visionnage des discours d’Adolf ne vous motive que moyennement, Rammstein est une très bonne alternative. Le caractère exceptionnel de la diction de leur chanteur n’est plus à démontrer, et si les rrrr roulés ou crachés et autres sons gutturaux proches de l’expulsion d’un mollard ne vous ont pas fait perdre un tympan, votre propre prononciation/compréhension y gagneront grandement (et en bonus, vous serez à même de parfaitement saisir toutes les instructions lors de votre prochaine soirée sado-maso au Kit Kat Club).
by Juju.


Bück Dich (tout est dans le titre) version non censurée (ou comment nous avons perdu toute innocence en matant cette vidéo il y a quelques années)

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