L’apprentissage ou le perfectionnement d’une langue se trouvent
généralement en pôle position dans le palmarès des meilleures raisons
pour déménager dans un autre pays ; ce postulat peut sans rougir faire
office de vérité générale. Vous avez donc tenté de motiver votre départ à
Berlin par un franc : « les mecs, dans six mois, je suis
bilingue ! ». Et à ce moment, pleine de bonne volonté et
de naïve (ou stupide) candeur, vous y avez cru. Et vous avez déchanté.
Très
rapidement. Dans ces moments de questionnements existentiels vertigineux
où il vous semble que seule une action extrême répondra à l’abysse qui s’ouvre
devant vous et que l’on appelle communément « devenir adulte », ne
comptez malheureusement que sur vous-même. Vous ne pouvez décemment pas vous
reposer sur vos amis ou votre famille, toujours là pour vous soutenir dans les
projets les plus débiles (« Tu veux aller choper des graines de beuh en
Afghanistan pour mettre en place un trafic de drogue en France et envahir le
marché mexicain ? Mais c’est pas mal du tout ça dis donc ! »,
« Un petit voyage à Fukushima ? Ah oui c’est le bon moment, je pense
que tu vas trouver des billets pas chers », « Mettre tes doigts dans
la prise ? Oh moi je n’essaierais pas mais vas-y toi »), quoi que
leur petite moue affolée ou leur silence gêné à l’annonce de votre départ
auraient dû vous faire tilter. Mais dans le tourbillon d’endorphine déclenché
par l’éventualité d’une nouvelle vie pleine d’aventure, d’amour et de currywurst,
vous n’y avez pas prêté la moindre attention. Pourtant, d’autres signes plus
évidents auraient dû vous mettre la puce à l’oreille. La réaction de votre
dernier patron par exemple, qui, à l’annonce de votre déménagement pour la
ville pauvre mais sexy n’a pu réprimer un immense éclat de
rire, avant de vous dévisager la mine mi amusée mi sarcastique :
« pour apprendre l’allemand ? Vraaaiiiment ? Bon on n’est pas
intime, mais je vous avoue que me dire « pour me biturer la ruche tous les
soirs » aurait été bien plus crédible ». Ça vous avait un peu étonné
et piqué au vif. Après tout, ce dernier vous avait bien cru quand, lors de
votre entretien d’embauche, vous lui aviez déclaré, pleine d’aplomb : « ah
mais absolument, rester le cul vissé sur une chaise dix heures par jour pour
rédiger des contrats, c’est ma passion dans la vie. J’aspire à une relation
passionnellement exclusive avec mon ordinateur, mon « Journal officiel des
lois & décrets » et mon Code de la propriété intellectuelle ». Et
là, il doute. Étrange Autre indice encore plus concluant,
lorsque votre unique amie berlinoise vous a demandé : « mais pourquoi
tu veux apprendre l’allemand, en vrai ? Je suis toujours
curieuse quant aux raisons qui peuvent pousser quelqu’un à s’infliger ça ».
Pourquoi en effet ? Après tout, vous avez la vie devant vous et
l’arrogance de la jeunesse. Quitte à tremper dans le moyennement réalisable,
vous auriez pu tout plaquer pour investir l’Upper East Side, commencer une
brillante carrière de dresseuse de poulpes et vous lancer à corps perdu dans
une relation absolument dépravée avec Ryan Gosling (et Eva Mendez, parce que vous
n’êtes pas contre un peu plus de partage en ce bas monde). Mais vous avez
préféré vous tirer à Berlin, pour apprendre l’allemand. Chacun son truc.
Nous ne tenterons même pas ici de dresser le palmarès « les 5
bonnes raisons d’apprendre l’allemand ». Vous pouvez essayer, mais gageons
que vous n’y parviendrez pas.
Il y a néanmoins des niveaux de débilité quant aux raisons qui ont pu
vous pousser dans cette bizarre entreprise. Déménager à Berlin parce qu’après
10 ans d’apprentissage vous êtes toujours infoutue d’aligner convenablement
deux mots et que vous voulez y remédier est un projet très noble, presque compréhensible.
Mais le dit projet peut également résulter d’une logique beaucoup moins
acceptable. Prenons la situation où vous avez toujours refusé d’apprendre cette
langue, où son écoute provoquait urticaire ou sueurs froides, et où vous vous
moquiez à gorge déployée de vos petits camarades suant sang et eau sur leurs
déclinaisons. Si vous avez fait une prépa, les notes négatives de vos collègues
germanistes aux versions et autres joies de la traduction vous ont confortée
dans votre choix hispanique; déjà qu’avec un peu de chance vous vous êtes tapée
du latin pendant une dizaine d’années, pas la peine de rajouter une lanière au
fouet du masochisme langagier. Mais voilà. Pour une raison quelconque (amour,
accès de folie, masochisme pathologique, passion pour les challenges inutiles,
les quatre à l’unisson), vous finissez par apprendre l’allemand. Vous qui
pensiez avoir « au moins échappé à ça » durant votre parcours
scolaire vous retrouvez dans la situation la plus tragi-comique qu’il
soit : devoir vous confronter à la langue d’Anguéla tout en vous rappelant
la torture endurée par vos camarades teutonphiles. Mais ce n’est pas grave. Sie
werden Deutsch lernen. Quelques petits conseils pratico pratiques pour
traverser cette épreuve sans sombrer dans la folie furieuse, et avant que le
désir de retourner manu militari en France ne piétine sauvagement vos bonnes
résolutions.
La résignation.
Ne vous battez pas avec la langue. Elle aura raison de vous bien avant que
vous n’ayez pu achever le grand travail de civilisation napoléonien en
envahissant une bonne fois pour toute l’Allemagne et en (ré)instaurant le
français comme parole européenne unique. Tout comme un martyre acceptant
sereinement son tragique destin, endurez la difficulté sans broncher. Le champ
d’application de la méthode Coué est malheureusement drastiquement circonscrit.
Il apparaît en effet improbable (à moins d’être continuellement sous
l’influence de petites pilules qui rendent heureux) de lucidement parvenir à se
persuader qu’apprendre l’allemand était, avant même l’invention du legging
polaire, la meilleure idée du monde, que sa cote de popularité
internationale va bientôt renvoyer le chinois au rang de langue morte, que
finalement quatre déclinaisons, des verbes à particules détachables en-veux-tu-en-voilà
et des mots imprononçables ce n’est pas grand-chose, et que ça va donner le
coup de pouce du siècle à votre CV, Bill Gates n’a qu’à bien se tenir. Non,
raisonnablement, l’auto persuasion trouve ses limites. Oui, j’apprends une
langue complexe, agressive à l’oreille et parfaitement inutile, oui, et j’aime
ça. Répétez le haut et fort, criez le à la face du monde.
Regardez Arte.
Si vous êtes adepte des soirées abandonnées à la célébration du trio
infernal pilon/vin rouge qui tâche/TV, visionnez des documentaires en allemand.
Ils prendront immédiatement une dimension quasi métaphysique. Ou Germany's Next Top Model. Plus sérieusement,
tentez, dans la mesure du possible, d’allier « l’utile » (en partant
du postulat que ce que vous faîtes est utile, ce qui est vous en conviendrez,
discutable, mais passons) à l’agréable. Matez-vous Inglorious Basterds en
boucle. Mieux, achetez-vous l’intégrale de Tarantino en allemand (comme ça,
lors d’une de vos escapades nocturnes, vous serez à même de sortir à votre
prétendant berlinois de la soirée: « Are you gonna bark all day little
doggy, or are you gonna bite ? » en allemand. Si le dit
prétendant n’est pas trop con, il comprendra l’invitation sexuelle, et sinon
vous aurez eu votre moment de classe internationale en débitant du Michael
Madsen in German, please). Apprendre l’allemand sera même
l’occasion de redécouvrir des petits bijoux engendrés par le cinéma teuton (La
Vie des Autres, Faust, Les Ailes du Désir, Herr
Lehmann, Métropolis, le récent Oh Boy! ou
encore Dark Side of the Moon (non, celui-là c’est parce qu’il
parle de Nazis cachés sur la lune et que c’est de fait assez marrant. Si vous
avez besoin d’une meilleure justification pour le visionner, trouvez la version
allemande)). Prêter l’oreille à la radio allemande. Outre la qualité indéniable
de cette dernière (Radio Eins 4Ever), l’écoute présente un avantage
double : vous vous habituez aux douces sonorités germaniques et, si vous
êtes futée, vous trouverez l’équivalent d’NRJ et autres diffuseurs de
sons cheezy. Comme ça, quand votre hôte/boyfriend/whatever déboulera
excédé dans la chambre commune en exigeant que vous éteignez, je cite,
« votre musique de merde », vous pourrez répliquer en toute innocence
« mais Liebling, j’écoute de l’allemand, je m’exerce, je fais des
efforts ». Et continuer à écouter votre musique de merde.
Observez votre chat (et si vous n’en avez pas, ça vous donnera une
justification pour perdre trois heures sur Internet à regarder des vidéos
félines bidons).
Non pas pour sa grâce, mais plutôt pour son sens accru de la mise à
l’amende. Bref, si vous avez la chance de vivre avec un félin passablement
névrosé et agressif envers des ennemis invisibles, vous aurez pu apprécier la
ressemblance entre le bruit émis par votre chat dans ses accès de colère et le
fameux « ch » allemand. La prochaine fois
que votre matou vous crachera dessus sans raison, plutôt que de le poursuivre
un chausson à la main en professant les pires menaces, tentez de reproduire le
son. Avec un peu de chance votre chat recommencera à vous crachez dessus et
vous pourrez continuer votre petit dialogue jusqu’à ce qu’une prononciation
parfaite s’en suive.
Faîtes l'amour et la guerre
Se lancer à corps perdu dans une relation pationelle vouée à se terminer dans les larmes et el sang avec un teuton, qu'elle plus belle manière d'appréhender l'allemand.
Faîtes l'amour et la guerre
Se lancer à corps perdu dans une relation pationelle vouée à se terminer dans les larmes et el sang avec un teuton, qu'elle plus belle manière d'appréhender l'allemand.
Ecoutez Rammstein.
Si le visionnage des discours d’Adolf ne vous motive que moyennement,
Rammstein est une très bonne alternative. Le caractère exceptionnel de la
diction de leur chanteur n’est plus à démontrer, et si les rrrr roulés ou
crachés et autres sons gutturaux proches de l’expulsion d’un mollard ne vous
ont pas fait perdre un tympan, votre propre prononciation/compréhension y
gagneront grandement (et en bonus, vous serez à même de parfaitement saisir
toutes les instructions lors de votre prochaine soirée sado-maso au Kit Kat Club).
by Juju.
by Juju.
Bück Dich (tout est dans le titre) version non censurée (ou comment nous avons perdu toute innocence en matant cette vidéo il y a quelques années)
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